Stéphane Rossini a dirigé l’Office fédéral des assurances sociales de fin 2019 à juin 2025. Alors que la génération du baby-boom s’apprête à prendre sa retraite, le Valaisan pose son regard sur l’un des plus grands défis du pays: l’avenir de son système de prévoyance. Extraits de l’interview avec Bilan:
Stéphane Rossini, on a l’impression que la Suisse, ce pays si riche, semble de moins en moins capable d’offrir à ses citoyens une retraite décente…
Notre système de prévoyance est bon, souvent montré en exemple. L’objectif des deux premiers piliers est de maintenir le niveau de vie antérieur. Est-il rempli? Il est impossible de l’affirmer avec certitude. Car cette question, pourtant essentielle, n’a jamais fait l’objet d’une évaluation rigoureuse. Point faible, le deuxième pilier, contrairement au premier, n’adapte pas les rentes au renchérissement.
Ainsi, avec l’allongement de l’espérance de vie, le montant des rentes diminue constamment. On peut donc légitimement penser que le niveau de vie antérieur n’est maintenu que pour une minorité de retraités, en raison des fortes disparités de couverture entre hommes et femmes, entre catégories socioprofessionnelles, entre les diverses caisses de pension.
Pourquoi ne pas avoir réalisé cette évaluation à l’OFAS?
Il s’agit d’un choix politique. Le sujet est sensible.
Devrait-on remettre en cause le fonctionnement des trois piliers afin de renforcer la solidarité?
Sur les principes, non. Concrètement, nous nous dirigeons déjà vers un renforcement du premier pilier, notamment avec la treizième rente qui augmentera les prestations AVS de 8,33% dès l’année prochaine. Le déplafonnement des rentes de couples pourrait confirmer la tendance. Je n’observe en revanche aucun mouvement sérieux visant à remettre en question le principe même des trois piliers.
Cependant, certaines tendances au sein du deuxième pilier mettent à l’épreuve le fonctionnement de la solidarité. Près de la moitié des assurés choisissent désormais un prélèvement de leur prestation en capital plutôt qu’en rente. Ils devront assumer seuls la gestion du risque. De plus, le troisième pilier, lui aussi une épargne individuelle, connaît une certaine progression.
D’où vient ce phénomène?
Il s’explique d’abord par une tendance sociétale à l’individualisation: les jeunes générations se montrent globalement moins attachées aux mécanismes de solidarité et aux organismes qui la mettent en œuvre. S’y ajoute certainement aussi une perte de confiance envers les institutions de prévoyance, incitant de plus en plus de retraités à préférer un retrait en capital pour avoir l’impression de garder la maîtrise de leur épargne.
Est-ce le rôle du deuxième pilier que de faire de la politique sociale?
En partie oui, c’est l’essence même de la LPP. C’est pourquoi il est essentiel d’analyser avec précision les effets du fonctionnement du deuxième pilier. Les institutions de prévoyance gèrent une partie surobligatoire, et sont parfois soumises à des objectifs de rentabilité commerciale. La manière dont ces deux dimensions s’articulent et interagissent reste mal connue. Pour autant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain: c’est justement cette part surobligatoire qui contribue à la stabilité des institutions. Les 20% de caisses de pension opérant au plus près du minimum légal LPP sont d’ailleurs celles qui rencontrent le plus de difficultés.
Les carrières professionnelles se flexibilisent. Le deuxième pilier est-il encore adapté à cette nouvelle réalité?
Non. Le principe actuel du lien entre les deux piliers (ndlr: le montant de coordination et le seuil d’entrée) a du sens parce qu’il évite de prélever des cotisations importantes sur les bas revenus alors que les rentes, elles, seront faibles. Mais aujourd’hui, ce fonctionnement suscite de l’insatisfaction. Il doit être corrigé. Une piste serait une adhésion au deuxième pilier dès le premier franc gagné. Certes, ce fonctionnement représenterait un coût important, mais il conscientiserait les assurés, et leur garantirait une meilleure prestation de prévoyance. Tous les partis s’accordent à dire qu’il faut mieux couvrir les personnes aux revenus modestes et celles ayant des emplois multiples.
Que manque-t-il alors pour une réforme?
L’adhésion de la population. Les projets de réforme qui visent à mieux couvrir les emplois multiples et les bas revenus ont déjà été proposés. Le problème, c’est qu’ils étaient couplés à une baisse du taux de conversion. Ainsi, par trois fois, les Suisses ont voté sur une réforme de la LPP et ont rejeté les révisions allant dans ce sens. En clair, il faudrait une réforme qui renforce la couverture des carrières précaires sans toucher en même temps au taux de conversion.
Bilan
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