imageHistorien, professeur à l’Institut d’histoire économique Paul Bairoch à l’Université de Genève et spécialiste de la sécurité sociale, Matthieu Leimgruber* porte son regard sur la réforme «Prévoyance vieillesse 2020» du conseiller fédéral Alain Berset, projet qui entre dans sa phase parlementaire et sera un thème politique majeur ces prochaines années.

Le Temps: Vous n’avez vous-même pas confiance dans le 2e pilier?
Leimgruber: Après avoir longuement étudié les archives des assureurs, je peux vous dire qu’ils ne font pas du social, ils font des affaires. Et les caisses de pension ont longtemps servi d’autres objectifs que celui de payer des rentes: fidéliser et pacifier la main-d’œuvre, réduire la charge fiscale des entreprises, ou encore alimenter toute une série d’intermédiaires financiers.

Vous préféreriez un projet qui renforcerait l’AVS au détriment du 2e pilier?
Si vous voulez véritablement renforcer les retraites des gens qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux, et notamment celles, qui ont les plus bas salaires ou vivent dans la précarité, c’est effectivement ce qu’il faudrait faire.

Vous semblez oublier qu’il ne s’agit pas d’améliorer les prestations mais de consolider le système pour faire face au vieillissement de la population? 
Mais on entend ce discours depuis trente ans: la société vieillit, donc il y aura des déficits. Oui, la société vieillit. Mais y aura-t-il des déficits? En 1997, les rapports fédéraux parlaient de 15 milliards de déficits pour l’AVS en 2010. Au final, les comptes ont clôturé avec 2 milliards de bénéfices. Aujourd’hui, on parle de 8 milliards de déficits en 2030. Mais personne ne sait vraiment ce qui se passera d’ici à 2030. Ce type d’argumentation démographique catastrophiste sert à cadrer la discussion et à présenter les coupes dans les prestations comme inéluctables.

Vous voulez dire que cette réforme ne se justifie pas?
Ce n’est pas ce que je dis. C’est normal de vouloir réformer ou de tenter d’adapter de manière dynamique un système de retraite. Mais on pourrait aussi dire, concernant la prévoyance vieillesse, qu’il n’y a actuellement pas de problèmes, que les financements des rentes sont garantis, et que si des difficultés apparaissent concrètement, on augmentera les cotisations pour les résoudre. Mais personne n’ose défendre cette position.

Alain Berset se garde pourtant de relever l’âge de la retraite à 66 ou 67 ans, alors que pour la plupart des pays occidentaux, c’est inéluctable. 
Si l’âge de la retraite des femmes passe de 64 à 65 ans, une hausse généralisée de la retraite sera l’étape suivante, aucun doute là-dessus. Alain Berset ne peut juste pas dire aujourd’hui qu’il faut augmenter l’âge de la retraite à 66 ou 67 ans alors qu’il y a encore un écart entre hommes et femmes.

  Le Temps