En cas de récession, une situation de sous-couverture toucherait 95% des avoirs de prévoyance, selon Olivier Scaillet, de l’Université de Genève.
Les scénarios de stress étudiés l’an dernier dans un travail de recherche par l’Université de Genève, sous la direction d’Olivier Scaillet, et de Pittet Associés, avec le soutien de l’Office fédéral des assurances sociales (rapport de recherche n° 07/22), sont en train de se matérialiser.
Olivier Scaillet, professeur de finance à l’Université de Genève et senior chair au Swiss Finance Institute, et Cyril Pasche, directeur au Swiss Finance Institute et chargé de cours à la Haute école de gestion de Genève, répondent aux questions d’Allnews sur les perspectives du 2e pilier.
Est-ce que la maison du 2e pilier brûle?
OS: Le 2e pilier est globalement résilient. Mais la maison brûle si l’on considère les fondations collectives et les fondations de droit public sans garantie étatique. Celles-ci peuvent être considérées comme «à risque», notion de Pension-at-Risk.
Cyril Pasche: La situation est effectivement critique comme le démontrent les chiffres. Dans le cadre d’un scénario de stagflation, 16% des avoirs de l’ensemble des institutions de prévoyance verraient leur taux de couverture tomber entre 90 et 100% et ce taux grimperait à 49% pour les fondations de droit public. Et dans un scénario de récession, le scénario le moins favorable, 95% des avoirs de l’ensemble des institutions tomberaient en situation de sous-couverture, dont 68% seraient en-dessous des 90%, soit un niveau que nous qualifions de catastrophique. Plus en détail, nous voyons que cette sous-couverture toucherait 93% des fondations collectives et 87% des institutions de droit public, à savoir neuf caisses de prévoyance sur dix.
Est-ce qu’il existe un problème de taille systémique aussi dans le 2e pilier?
OS: Oui. Certaines fondations collectives pèsent lourdement. Nous assistons à un phénomène de «too big to fail», comme dans le secteur bancaire.
Dans le scénario de normalisation, 36% des institutions collectives seraient en situation de sous-couverture en fin de période et elles représentent près de 70% des engagements. C’est pourquoi il faut prendre garde de ne pas en rester à un jugement globalement positif. Les caisses de pension fragiles appartiennent au nombre des plus grandes.
CP: La prévoyance est un secteur majeur de l’économie suisse. Chaque pour-cent à la hausse ou à la baisse correspond à 10 milliards de francs puisque le 2e pilier représente environ 1000 milliards de francs. Les ordres de grandeur ne sont guère différents de ceux des grandes banques.
Que recommandez-vous?
OS. Nous trouvons inquiétant qu’il n’existe des organismes de surveillance et de régulation que pour juger le passif des institutions de prévoyance, soit leurs engagements, mais rien pour leurs actifs, soit leurs placements. Nous recommandons donc l’introduction de ce type d’autorités au sein du 2e pilier. Elles seraient chargées de fonctions de monitoring et de l’établissement de scénarios de stress. Un tel exercice existe dans le secteur bancaire.
Le but de notre étude consiste précisément à disposer de données individuelles désagrégées, avec l’ensemble de l’univers des fonds de pension et leurs données aussi bien sur l’actif que le passif. Aucune autre étude dans le monde n’est aussi complète et ne présente des projections précises à 10 ans. On peut ne pas aimer nos projections, mais ce sont des faits. On peut ne rien faire pour maintenir la taille du gâteau, mais on ne peut plus en ignorer les conséquences. Les caisses de pension devraient, comme les banques, fournir des études de gestion actifs/passifs (ALM) et les présenter.